Par Pierre Losier, directeur général et Raymond Blanchard, agent de recherche et de projets
Image: Cédric Ayisa, agent de communication
Pour résumer; en mai 2021, des décennies de plaintes et de dénonciations en tout genre ont abouti - enfin - au congédiement d’un professeur du département d’art dramatique de l’Université de Moncton. L’adoption de la Politique contre la violence à caractère sexuel (PVCS) en 2017 semble être le dernier morceau du casse-tête, qui a permis de passer à l’action. Plusieurs victimes ont exprimé leur soulagement, et souligné l’importance de cette décision de l’Université de Moncton pour les générations futures. (Radio-Canada)
Mais là, à la fin août, v’là-ti-pas que le syndicat des profs fait appel de la sanction. Cette fois ce seraient plutôt les lois provinciales que les politiques internes qui s’appliquent, donc l’intensité monte d’un cran. D’entrée de jeu, on comprend que le système n’est pas conçu pour soutenir les victimes car cette procédure d’appel est publique. Alors: on souhaite régler un litige employeur-employé en forçant des victimes et des témoins à se soumettre à un nouvel interrogatoire, mais cette fois, devant le public - et fort possiblement devant l’agresseur. Rappelons qu’une enquête externe a été effectuée avant que l’administration n’applique la sanction portée en appel. L’information était là. S’il y avait des problèmes dans le rapport d’enquête, il semblerait sage d’adresser ces derniers avant de repartir à la case zéro.
Dans le cadre de l’appel, l’ABPPUM, par l’entremise de son avocat, demande à certaines victimes et témoins de produire l’intégralité des documents en leur possession qui font mention du professeur, et/ou de subir un nouvel interrogatoire. On imagine mal comment quiconque aurait jugé pertinent de cacher quoi que ce soit, ou de mentir aux enquêteurs, mais pareil.
À croire qu’on cherche un peu tout et n’importe quoi. Pensons qu’à la base, les étudiantes et étudiants n’ont aucun lien contractuel avec l’Université, alors pourquoi et comment on peut les contraindre à participer à cet appel, qui relève d’une convention collective? Pourtant, d’après ce qui leur a été dit, la loi les oblige à répondre aux demandes des avocats des deux parties impliquées dans l’arbitrage. Ça semble excessif comme tactique, pour rester poli.
L’impulsion de défendre ses membres est compréhensible - mais il faut bien qu’il reste des conséquences quelque part, non? Sans quoi, si on peut démolir tout et n’importe quoi à coups d’obligations contractuelles, pourquoi on se casse la tête à les écrire, à les interpréter et à les appliquer, ces politiques devant soi-disant protéger la communauté entière?
Surprise: ça inclut les personnes étudiantes. Bon, sur papier du moins.
Si légale soit-elle, cette procédure d’appel s’inscrit contre plusieurs principes énoncés dans la PVCS. Ça nous révèle l’étendue du pouvoir des conventions collectives sur les personnes étudiantes - qui n’ont pas accès aux mêmes protections que le personnel de l’Université - et de la part du bon fonctionnement qui repose, à la base, sur la bonne volonté des membres conventionnés de la communauté universitaire. On peut se demander où se trouve la limite de ce qui serait toléré sans subir de conséquences, à l’exception d’un crime majeur.
Et encore, on prendrait un prof en flagrant délit qu’on irait quand même en appel, parce que convention.
Donc, on adopte après des mois (ou des années, vraiment) de travail une politique visant à protéger tout le monde sur le campus contre la violence sexuelle. Puis on essaie de l’appliquer une fois jusqu’au bout. Puis la décision est portée en appel, mais pas à l’interne - en public. Public où le professeur impliqué est libre de siéger durant les témoignages des victimes, qui plus est. Peu importe sur quoi on aboutit au terme de tout ceci, ce sont elles qui en sortiront perdantes, encore une fois. Et pourtant, des années après avoir quitté l’Université dans bien des cas, qu’est-ce qu’elles auraient à y gagner?
Clairement, aux yeux de l’ABPPUM, ceci constitue un moyen acceptable de protéger ses membres. Et l’Université seconde. Au diable les victimes collatérales. Incompréhensible, car d’après ce qui nous a été expliqué, en tout temps, l’une des deux parties aurait pu demander une audience qui soit fermée au public. On se demande alors pourquoi ni l’Université ni l’ABPPUM n’a fait cette demande. Il semblerait normal que quiconque croit vraiment dans l’essence de la PVCS fasse cette demande automatiquement. On peut comprendre, jusqu’à un certain point, que ceux qui ont intérêt à discréditer les victimes et témoins puissent aussi avoir bien peu d’hésitation à leur faire revivre un traumatisme en public. Mais pour l’institution, pourquoi ne pas avoir demandé un processus privé? En présence d’un réel engagement à protéger les victimes, cette demande ne devrait-elle pas être automatique?
Il faut dire que « victime » ne désigne pas forcément la même personne pour toutes les parties. Au regard de bien des gens impliqués ici, c’est le prof la vraie victime, hein.
On s’en balance, car victime ou pas, l’ABPPUM a recours aux services d’un avocat, tout comme l’Université de Moncton, alors que les personnes étudiantes, anciennement étudiantes ou diplômées qui sont bombardées de lettres d’avocats et de demandes intrusives n’ont pas accès au même niveau de protection, ni aux mêmes ressources.
C'est pourquoi la FÉÉCUM a décidé de leur offrir l’aide d’une avocate pour mieux comprendre la situation et voir comment leurs droits peuvent être protégés dans tout ceci. Vous ne serez pas surpris d’apprendre que la FÉÉCUM n’a pas de fonds réservé à cette fin. Mais le respect des victimes, qui semble être une considération secondaire (au mieux) dans ce conflit entre l’Université et l’ABPPUM, est trop important pour ne pas les appuyer. Et le précédent que ça peut créer dans la gestion des cas futurs - vu qu’on a enfin une politique qui leur donne un minimum de pouvoir sur le campus - bien trop périlleux pour leur sécurité.
Au final, on apprend par l’avocat de l’ABPPUM qu’une entente « à l’amiable » a été conclue entre les deux parties au début septembre. Lorsqu’une telle entente a lieu, en temps normal ça signifie que les deux parties y voient un compromis acceptable, que chacune y trouve son compte. Il ne serait alors pas du tout surprenant que le professeur congédié finisse par recevoir une prime de départ. Dans ce cas, l’agresseur serait encore une fois vainqueur devant les victimes. La seule partie moindrement rassurante, c'est qu' il est permis de croire que cette entente mettra fin à la présence du professeur sur le campus.
Car soyons francs, cette entente ne fait probablement rien pour les victimes. Aucune forme de dédommagement ne semble avoir fait partie des discussions - en dépit du fait qu’on les ait traînées de force dans cette dispute, basée rappelons-le sur la violence sexuelle qu’elles ont subi pendant qu’elles étudiaient à l’Université de Moncton, sous la direction d’un membre de l’ABPPUM. Sans oublier qu’il semblait attendu qu’elles aient à portée de main une équipe légale prête à l’action. Ce ne sont pas elles qui ont demandé la sanction imposée au professeur, pas plus qu’elles n’ont poussé cette sanction en appel ou demandé le statut d’intervenant dans ce dossier; tout ce que les victimes demandent, en fait, est un peu de paix d’esprit, de justice et de respect. Et on fait quoi? On met en doute l’intégrité, sinon les intentions de leur témoignage en les contraignant à les répéter devant le public.
Une fois que tu t’es confessé au prêtre, est-ce qu’on te force à aller répéter tes secrets sur le perron d’Église, au cas où tu en aurais caché un petit bout à Jésus? Non. Mais c’est plus ou moins ce qu’on a cru justifiable d’exiger des victimes du professeur, et pour le bien du professeur, sur la seule base que les règles du jeu le permettent.
Mais, comme le mauvais joueur qui renverse la table en partant, l’ABPPUM ne semble pas avoir su se contenter de déchirer la PVCS, il fallait encore brûler les lambeaux.
FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE